L’affaire du Sofagate : quand un sofa crée un incident diplomatique 

Le 6 avril 2021, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen et le président du Conseil européen, Charles Michel, se rendent en Turquie pour mener une conversation sur les droits de l’homme. Mais la rencontre donne lieu à un incident protocolaire. En effet, la présidente de la Commission européenne se voit contrainte de s’installer sur un canapé, à l’écart, face au ministre des affaires étrangères turques tandis que le président du Conseil prend place dans un fauteuil aux côtés du président truc Recep Tayyip Erdogan. Simple erreur protocolaire ou véritable incident diplomatique aux enjeux plus importants ? 

La question de la représentation internationale de l’UE 

La base juridique de la représentation européenne 

Il faut comprendre que la représentation internationale de l’Union européenne est un sujet complexe. Le traité de Lisbonne, bien qu’affichant une volonté de simplification, maintient en effet une représentation multiple de l’Union Européenne. Selon les traités, il existe une double représentation de l’Union européenne ; d’une part, dans le domaine de la PESC, le représentant de l’Union européenne sur la scène internationale doit être issu des institutions intergouvernementales telles que le Conseil européen ou le Conseil de l’Union. D’autre part, dans les autres champs de compétence, l’Union européenne est représentée par la Commission européenne. Selon le droit et les traités de l’Union européenne, le président du Conseil et la présidente de la Commission sont des représentants de l’Union européenne au même niveau. Il n’existe donc pas de hiérarchie entre les deux représentants. 

Une rupture du protocole diplomatique 

L’affaire du Sofagate, comme l’ont appelé les médias, représente donc un incident protocolaire ayant généré un incident diplomatique de taille. Il existe, dans le cadre de la diplomatie, ce que l’on appelle le protocole diplomatique. La diplomatie s’est construite sur un corps de règles qui impose à ses acteurs un « code des relations ». Ce « code des relations », associé au protocole diplomatique, a pour but de contenir les rapports de forces entre les acteurs.

Mais dans ce cadre de la diplomatie, chaque détail revêt de son importance et transmet un message. Il est donc intéressant de comprendre le message qu’a voulu transmettre la Turquie. Humiliation de l’Union européenne, démonstration de force ou remise en cause plus profonde ? Les interprétations sont diverses. 

Un dispositif calculé à la portée bien plus importante 

Recep Tayyip Erdogan affiche un profond désaccord 

On pourrait s’attendre à une erreur protocolaire mais beaucoup affirment qu’il s’agit en réalité d’un dispositif calculé destiné à humilier la présidente de la Commission européenne. La Turquie s’était en effet retirée quelques mois auparavant de la Convention européenne sur la lutte contre les violences faites aux femmes.

De plus, la présidente de la Commission ne s’est jamais montrée complaisante avec la Turquie depuis son élection en 2019. Elle s’est par exemple élevée contre les violations des eaux internationales chypriotes par la Turquie. La présidente a appliqué la stratégie de la carotte et du bâton avec la Turquie évoquant d’un côté une modernisation de l’Union douanière avec la Turquie et une meilleure coopération sur la question de la migration mais d’un autre côté de possibles sanctions de l’Union européenne contre Ankara. Le président turc, en reléguant la présidente de la Commission, affiche clairement son mécontentement contre l’Union européenne. 

En effet, Recep Tayyip Erdogan, montre une opposition de plus en plus affichée au pays occidentaux. Il s’inscrit dans la lignée des pays comme la Russie, la Chine ou encore l’Inde qui se revendiquent comme des « États de civilisation ». Le président turque affirme ne pas partager les valeurs des occidentaux, ne souhaite pas se rallier à celles-ci et entend bien affirmer ses valeurs qu’il juge tout aussi légitimes. Le chef d’État récuse clairement les perceptions européennes des droits de l’Homme, du progrès social et leur croyance dans des relations internationales reposant sur la coopération et le droit. Recep Tayyip Erdogan s’oppose fermement à l’Union européenne et plus largement aux occidentaux et il le fait savoir à travers cet incident diplomatique. 

Mais l’incident diplomatique illustre les défis de l’Union européenne 

Mais au-delà de cela, l’épisode du Sofagate démontre une vérité qu’il faudra accepter ; la Turquie ne sera sans doute jamais européenne et elle ne saurait au mieux qu’être en paix avec l’Europe. Outre une incompatibilité en termes de valeurs et d’idées, l’impossibilité pour la Turquie de devenir européenne repose également sur la spécificité de l’ordre européen. Un ordre bien souvent critiqué pour sa tension entre logique intergouvernementale et supranationale. Cette tension révèle les rivalités entre les institutions européennes et illustre les divergences de positionnement au sujet de l’élargissement de l’Union européenne, en particulier pour la Turquie.

De plus, l’attitude du président du Conseil, qui n’a pas agit pour défendre le statut de son homologue, illustre l’incapacité de l’Union européenne à mettre en œuvre une politique internationale claire. Une incapacité qui repose encore une fois sur le caractère polyarchique de ses institutions. La visite des représentants européens à Ankara revêtait une importance stratégique et visait à réchauffer les relations entre l’Union européenne et la Turquie. L’objectif était d’exposer leur point de vue sur l’avenir de la région autour des questions de coopération économique, de droit de l’homme et de migrations. 

Mais l’incident créé par la Turquie illustre les difficultés de l’Union européenne à s’exprimer d’une voix commune et à défendre ses intérêts dans ses relations avec les grandes puissances. Il permet également au président turc d’afficher une position qui s’éloigne de plus en plus des valeurs occidentales. Dans un contexte ou Union européenne et Turquie dépendent l’un de l’autre, la rupture entre les deux paraît impensable mais la politique de plus en plus agressive de Recep Tayyip Erdogan laisse à supposer qu’il ne tardera pas à monter le ton face à l’Union européenne, reste à savoir s’il représentera une réelle menace pour celle-ci. 

Sources : 

https://www.touteleurope.eu/institutions/relations-ue-turquie-le-sofagate-fait-polemique

https://theconversation.com/le-sofagate-ou-la-faillite-de-la-politique-etrangere-de-lunion-europeenne-158638

https://www.courrierinternational.com/article/sexisme-le-sofagate-un-beau-plantage-pour-charles-michel-et-pour-leurope

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